Repenser le design des alarmes des dispositifs médicaux

Rédigé par
François Longpré

À l’hôpital, les sons sont omniprésents, notamment dans les chambres des unités de soins intensifs. Ce sont des environnements de travail très bruyants où les alarmes des dispositifs médicaux sonnent sans interruption.
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Audio Credits: Youtube – How Aaron Does It – Kelly’s ICU Sounds

Ces alarmes existent pour accompagner un message d’erreur. Leur rôle est d’attirer l’attention du personnel médical sur des anomalies ou des situations dangereuses pour la santé du patient qui nécessitent une action humaine.
Par conséquent, un mauvais design sonore des alarmes peut avoir des répercussions désastreuses dans le milieu à risque qu’est l’hôpital.

L’hôpital, un milieu à risque

La fréquence des alarmes dans les unités de soins intensifs est très élevée. Sur une période d’une semaine, une étude a dénombré plus de 2000 alarmes. Parmi elles, 94% étaient non significatives.

À force d’être exposé à ces fausses alarmes, le personnel médical finit par ne plus y faire attention et risque de passer à côté d’une alarme importante. Ce phénomène appelé «la fatigue liée aux alarmes» serait la cause de près de 600 morts aux États-Unis dans les cinq dernières années, selon la FDA.

Pour le patient, ces alarmes intempestives sont source de stress. Elles nuisent à son sommeil et peuvent avoir des conséquences sur son rétablissement. Certains patients ayant séjourné longtemps en soins intensifs doivent même être traités pour un choc post-traumatique lié aux sons des alarmes.
Explorons ensemble quelques pistes pour améliorer les alarmes des dispositifs médicaux afin qu’elles ne nuisent pas à la qualité des soins délivrés par le personnel médical, ni à la santé du patient.

Réduire la fréquence des alarmes des dispositifs médicaux

Pour prévenir la fatigue liée aux alarmes, il est important, avant toute chose, de réduire la fréquence des alarmes afin de ne pas crier au loup pour rien.
La règle d’or est de tenter de minimiser le nombre d’alertes et de ne garder que les situations pour lesquelles il existe un problème urgent nécessitant l’attention immédiate du personnel.

Selon la taxonomie de Xiao et Seagull, voici 3 types d’alarmes inutiles qui doivent être évités:

Les fausses alarmes

Plusieurs alarmes se déclenchent selon le seuil de capteurs. Si les seuils sont trop prudents, on aura beaucoup de fausses alarmes.

Exemple

Une alarme de pression artérielle dont le seuil n’est pas adapté à la condition du patient.

Solution

Permettre de changer les seuils selon le patient et son état de santé.

Les alarmes injustifiées

L’alarme est déclenchée sans tenir compte du contexte spécifique.

Exemple

Une alarme d’apnée est déclenchée lors de l’intubation d’un patient.

Solution

Ce type d’alarme est plus difficile à éviter, mais on peut activer un mode d’intervention qui fera en sorte que l’alarme soit temporairement désactivée.

Les alarmes inopportunes

L’alarme se déclenche au mauvais moment.

Exemple

Une alarme avertit que le patient a un taux de potassium trop élevé, mais cela n’a pas d’impact à court terme.

Solution

Ce genre d’alarme peut être cachée pendant la procédure, mais tout de même consignée et affichée après l’intervention.

Prendre en considération l’environnement sonore d’une salle de soins intensifs

Les contraintes du milieu hospitalier ne permettent pas toujours de pouvoir le faire, mais pour s’assurer de faire les bons choix pendant la conception d’une alarme, il faut aller tester son prototype dans un contexte d’utilisation réel.
Cela permet de pouvoir prendre en considération les paramètres suivants:

Les bruits et les alarmes émis par les autres dispositifs médicaux

Chaque appareil présent dans la salle de soins intensifs possède ses propres alarmes, et celles-ci peuvent se mettre à sonner simultanément.
Pour permettre au personnel médical de localiser rapidement la provenance d’une alarme, chaque nouveau dispositif doit avoir une signature sonore unique avec une tonalité et un niveau qui lui est propre.
Pour déterminer le niveau sonore, il faut hiérarchiser les différents dispositifs médicaux présents dans la pièce selon leur importance. Par exemple, l’appareil qui surveille les signes vitaux du patient est plus important que les autres et va donc bipper plus fort pour éviter d’être couvert par l’alarme d’un autre dispositif médical.

La communication entre le personnel médical

Le niveau sonore des alarmes ne doit pas empêcher le personnel médical présent dans la salle de pouvoir communiquer correctement.

Le niveau sonore de la musique avec lequel le chirurgien travaille

Il est courant de voir des chirurgiens travailler avec un fond musical lors d’une intervention. Si c’est le cas, il faut aussi tenir compte du niveau de cette musique.

Appliquer les recommandations de la norme internationale

Depuis 2003, une norme internationale tente de régler certains problèmes liés aux alarmes, il s’agit de la norme IEC 60601-1-8 sur les alarmes des appareils électromédicaux.

Ce standard n’est pas obligatoire, mais en tentant de suivre ces directives internationales, on peut espérer avoir un meilleur écosystème sonore dans nos hôpitaux.
La norme conseille à la fois sur le type d’alarme qui doit correspondre à chaque son, ainsi que sur la fréquence et la tonalité de celui-ci. Notons que certains grands centres hospitaliers acceptent uniquement les nouveaux dispositifs médicaux qui se conforment à cette norme.

Faire preuve de créativité pour innover

Comme vous pouvez le constater, les alarmes posent un réel problème et plusieurs experts tentent d’y remédier.

Notons le travail innovateur de la musicienne électronique Yoko Sen qui, suite à une hospitalisation traumatisante, a décidé de s’attaquer au design sonore des alarmes et explore des pistes de solutions. Elle a créé une entreprise sociale nommée Sen Sound dont le mandat est d’améliorer l’environnement sonore des hôpitaux.

Aux Pays-Bas, des étudiants du Delft Design Lab, dirigé par Dr. Elif Özcan Vieira, ont créé un outil nommé Care Tunes qui transforme les signes vitaux d’un patient en mélodie.

À quand ce genre de technologie dans nos hôpitaux?

Et l’intelligence artificielle dans tout ça?

L’intelligence artificielle est une avenue très prometteuse pour discriminer les alarmes en fonction du contexte. Mais comme c’est le cas avec toutes nouvelles technologies, il faut demeurer vigilant car un algorithme mal entraîné pourrait également avoir des conséquences fatales.

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Rédigé par
François Longpré

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